Notre séjour aux Canaries marque la moitié de notre parcours autour de l’Atlantique. Milles marins après milles marins, nous avons atteint le point le plus à l’est de notre trajet. Nous en profitons pour faire le point sur notre objectif initial, qui est d’évoluer le plus possible en harmonie avec les éléments de la nature par nos choix d’activités et de consommation. Sur un voilier, bercés par l’océan de tous les côtés, cela se fait sans trop d’effort. Loin de vouloir nous reposer sur nos lauriers, nous souhaitons explorer plus loin l’idée d’autonomie.
Nous décidons de nous inspirer des habitants des îles, qui doivent souvent dépendre uniquement d’eux-mêmes et des ressources disponibles. Dans l’archipel des Canaries, nous avons été grandement inspirés par plusieurs façons créatives d’être plus autonome.
La plongée en apnée
L’aisance des baleines et dauphins dans l’eau nous fait rêver. Serait-il possible d’apprendre comme eux à retenir notre respiration plus longtemps, et à plonger plus profondément? Nous éprouvons beaucoup de plaisir à nager avec nos palmes, masques et tubas, mais nous devons rester à quelques mètres sous la surface. Nous aimons aussi plonger en bouteille, mais ce type de plongée requiert beaucoup d’équipements, et l’espace restreint à bord nous décourage de tout trimballer avec nous. Il se trouve que nous sommes à Tenerife, un endroit rêvé pour faire l’apprentissage de la plongée en apnée.
L’objectif est simple; se détendre, remplir ses poumons d’une grande inspiration, descendre le plus profondément possible le long d’une corde, puis remonter à la surface. L’entraînement commence par quelques notions d’anatomie, pour mieux comprendre le fonctionnement de notre système respiratoire. Avant la plonger, on se prépare avec quelques étirements de la cage thoracique et des exercices de respirations qui rappellent un peu le yoga.
Ce sport demande à notre organisme de développer en quelque sorte des qualités surhumaines. Certaines personnes descendent à des profondeurs de plus de 60 mètres, le record du monde étant de 117 mètres!
On le devine, cette discipline n’est pas sans danger. Le risque d’évanouissement dans l’eau est élevé, surtout à des profondeurs importantes. On ne plonge jamais sans que quelqu’un nous accompagne dans la dernière phase de remontée. Mais au plus profond de notre plongée, nous sommes seuls. Nous ne pouvons compter que sur la force de notre corps et de notre mental.
Après 3 jours de pratique, nous sommes descendus à des profondeurs surprenantes, jusqu’à atteindre 22 mètres. Pas mal, quand on sait que c’est l’équivalent d’un bâtiment de 6 étages ! Nous pouvons maintenant nager sous l’eau un peu plus profondément, un peu plus longtemps, et avec plus de confiance. Nos moments sous l’eau en sont encore plus merveilleux.
Silbar pour communiquer
À la Gomera, une île voisine, les habitants ont trouvé une autre façon d’utiliser la seule force de leurs poumons pour répondre à une nécessité; communiquer sur de longues distances sans l’aide de la technologie. Bien avant l’invention des téléphones cellulaires et des walkies-talkies, les résidents des montagnes communiquaient entre eux en sifflant… des mots ! Cet art du langage, nommée Silbo (sifflement en français), permet à ceux qui le maîtrise de tenir une conversation complète, d’un versant à l’autre de la montagne. Nous avons entrepris d’apprendre à faire comme eux.
Pour ça, nous avons suivi nos professeurs de Silbo dans les montagnes. Même si nous l’aurions voulu, nous n’aurions pas pu utiliser notre téléphone; il n’y a pas de réseau dans cet endroit reculé! Pas le choix, il faut apprendre à siffler. Le problème, c’est que c’est aussi beau à entendre que difficile à reproduire. Leur façon de siffler, avec un seul doigt, ne nous permet que de sortir un petit pffiou décevant. De là à faire une phrase, on en est loin. Nos professeurs nous assurent qu’on finira par y arriver, avec un peu de pratique. Nous savons comment occuper le temps lors de notre prochaine traversée!
L’île 100% autonome
Nous continuons notre route vers El Hierro, l’île la plus au sud de l’Europe. Si on devait choisir un endroit dans le monde qui est un exemple d’autonomie, ce serait bien là! Grâce à Gorona Del Viento, une centrale hydroélectrique jumelée à des éoliennes et inaugurée il y a quelques années, l’île réussi à être 100% autonome en énergie lors des journées de bons vents.
Le principe est simple; profiter des éléments à leur disposition, tel que le vent, l’eau et la géographie de l’île pour répondre à leur besoin en énergie, tout ça de façon durable. Nous avons emprunté un petit sentier qui mène au parc éolien. En compagnie de quelques chèvres nous avons pu admirer la vue sur l’océan et ressentir toute la puissance de ces géantes structures écologiques.
Une pêche durable
Du côté des pêcheurs de l’île, on a retrouvé ce même souci de développement durable et d’autonomie. Activité de subsistance et source importante de revenus pour les habitants de l’île, la pêche traditionnelle à la ligne est aujourd’hui de plus en plus menacée de disparition. Les gros chalutiers que l’on accuse de surpêche leur font une concurrence déloyale, en plus de vider les fonds marins et d’épuiser les ressources.
Pour éviter une catastrophe, la coalition des pêcheurs est parvenue à mettre en place des zones protégées autours de l’île. La pêche est interdite à certains endroits, tandis qu’à d’autres elle est permise, mais seulement à la ligne. L’initiative est une réussite exemplaire, puisque l’île est aujourd’hui réputée pour avoir les plus beaux fonds sous-marins de tous les Canaries. Les centres de plongée se multiplient, et les restaurants de l’île sont fiers de servir de délicieux poissons pêchés le jour même, à proximité.
Ce séjour aux Canaries nous a beaucoup inspiré. Nous réalisons que nous portons en nous des qualités insoupçonnées et une grande force qui nous permet d’atteindre nos objectifs. Pour nous, l’autonomie ne signifie pas solitude ou égocentrisme. Au contraire, toutes les activités d’autonomie dont nous avons fait l’expérience font appel à un besoin de communiquer, de vivre en communauté, d’entraide. On se soutient l’un l’autre dans cette aventure humaine, là où les machines et la technologie restent un moyen, et non une fin en soi.
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